❯ Pause. Arrêt sur image. Prendre le temps de se poser, de regarder en arrière et se rendre compte de tout ce que l'on a perdu. Je n'ai jamais voulu tout ça, bien au contraire. Alors, j'ai décidé de me battre pour celle que je suis, celle qui est encore là, quelque part et qui ne baissera jamais les bras tant que ceux qu'elle aime ne seront pas à l'abri. « Tu vas arrêter de te plaindre oui ? Tu devrais être heureuse d'être encore en vie. » Je lève les yeux au ciel, bien que je doute que mon corps suive le mouvement. « Ca va, lâche-moi toi. Laisse-moi un peu d'intimité pour une fois. » Je deviens folle, ou du moins j'en ai l'air. Je ne le suis pas pourtant, plus saine, je crois que ça n'existe pas. Je me retrouve projetée à l'arrière plan de ma propre vie, de mon propre corps. On ne me reconnaitrait pas aujourd'hui, on a même tenté de me tuer. Et pourtant, je suis encore là malgré tout, malgré cette abomination qui occupe mon corps. Je suis possédée par un démon. Cela fait deux ans maintenant. J'ai dû tout laisser derrière moi. Ma famille me manque, mon petit frère surtout. Ciarán. Il est toute ma vie : mon petit frère, mon confident, mon meilleur ami. J'ai toujours veillé sur lui, comme il veillait sur moi d'ailleurs. A tous les deux, on était invincibles. Alors quand il a fallut que je parte, sans me retourner, sans le serrer dans mes bras, sans lui dire que j'allais bien et que je reviendrais vite. « Mais qu'est-ce que tu peux être sentimentale ! » Ce démon me tape sur le système. « La ferme toi ! Laisse-moi raconter mon histoire au lieu d'intervenir sans cesse ! » Quelle plaie ! Bon, reprenons. Mon petit-frère. Nous avons le même caractère, ce qui, pour beaucoup, pouvait ressembler à un champ de bataille à la maison, était pour nous une véritable bénédiction. C'était la folie totale. On était jamais bien que lorsque l'on était ensemble, tous les deux : dans les mêmes fous rires, dans les mêmes conneries, dans les mêmes crises de nerfs. Bien sûr, il y avait des hauts et des bas, mais on en retirait toujours que le meilleur. « C'est tellement niais, tellement ennuyant, tellement ... Beurk ! » Mes nerfs sont à vifs mais je suis loin d'avoir terminé alors je prends sur moi parce qu'il faut que je vous parle de Cohen. J'avais dix-huit ans quand je l'ai rencontré et lui, il en avait dix-sept. Un an plus tard, on était ensemble. J'étais amoureuse, comme jamais je n'avais pu l'être auparavant. En même temps, il a été le seul à vraiment compter pour moi. Il m'a dit ce qu'il faisait, il m'a dit qu'il était chasseur, il m'a dit ce qu'il chassait. Je l'avoue, j'ai paniqué. A l'époque, tout ça, c'était surréaliste. Comment croire en quelqu'un qui dit chasser des démons, des vampires et toutes sortes de choses surnaturelles lorsque l'on a dix-neuf ans ? Alors j'ai paniqué et je suis partie. « Ouais et ben t'aurais dû l'croire, on aurait gagné du temps. » Mais c'est pas vrai ça. Bon, continuons. Je l'ai laissé poireauter pendant plus de deux semaines, trois ou quatre, je ne m'en souviens plus exactement. J'ai beaucoup réfléchis, j'ai essayé de l'oublier mais rien n'y a fait. Je m'étais beaucoup trop attachée à lui, je ne pouvais partir et le laisser derrière moi. Alors je suis revenue, j'ai foncé droit sur lui, je lui ai dit les trois mots qui changent tout. Je n'ai pas pensé une seule seconde que mon absence aurait pu le déstabiliser, je n'ai pas pensé qu'il aurait pu oublier. Ce n'est qu'une fois les trois mots lancés que je me suis rendue compte que j'avais peut-être fait une erreur. Et puis, il me les a dit en retour et je me suis sentie tellement mieux, soulagée, vivante. Par contre, je refusais toujours qu'il rencontre ma famille. Je n'étais pas prête à les mettre devant le fait accompli et puis je pensais ne pas supporter le regard de mon petit frère sur Cohen. je ne suis pas certaine qu'il l'aurait apprécié. J'attendais le bon moment, celui que je choisirai. Et puis, les choses ont basculés bien trop tôt, bien trop vite. Vingt-et-un ans, trois ans à peine après notre rencontre, deux ans après avoir découvert le monde sous un autre angle. Je n'aurais jamais dû me trouver là. Tout s'est passé bien trop vite. « La meilleure partie de ton histoire ! Enfin ! » Là, je n'en peux plus. « La ferme ! Tu as détruis tout ce que j'avais mis tant de temps à construire ! Tu as détruis ma vie, la sienne et celle de ma famille ! Je sais bien que la compassion, tu ne connais pas mais bordel, tu vas la fermer oui ! » Non mais, et puis quoi encore ? « Oh mais la petite se rebelle ... Ok, je vais la faire courte : ton Cohen là, sa famille, et lui par la même occasion, il me font chier. Alors je me suis glissé en toi et pouf ! Tu vis, lui aussi et la suite, on s'en fout. Le seul problème, c'est que toi, si on me tue, tu meurs. » Saloperie. « C'est comme ça que ça s'est passé, ne le tourne pas autrement. J'ai pris possession de ton corps et il t'a épargné, point final. Il t'aime et la vie est belle, c'est bon, on a compris, passe à l'étape suivante parce que je m'ennuie et tu sais ce que ça donne quand je m'ennuie. » Oui, je suis partie. Je n'ai pas eu vraiment le choix. C'est le démon qui est parti, m'emmenant avec lui. Mais je n'ai pas dit mon dernier mot, loin de là. « Et toi et moi, on le sait bien. Jamais je ne me tairais. » Une fois l'évasion réussie, j'ai erré, ici et là. Et toi, la saloperie que tu es, tu l'as espionné, tu as surveillé Cohen alors que je te conjurais de le laisser tranquille maintenant que tu avais eu ce que tu voulais. Il s'était remis de mon départ, ça faisait mal, mais c'était tout ce que je lui avais souhaité. Je crois que ce qui m'a le plus blaissé, ce fut de le voir dans les bras de cet homme. Un homme. Oui, cela a fait du mal à mon égo. Alors, toi, le démon, tu lui as montré que le blond était un sorcier. Tu l'as achevé, tu as été bien trop dur avec lui. Et pourtant, tu l'as laissé partir. Ce fut la dernière fois que j'ai posé les yeux sur lui. « Tu as tout détruit, tout gâché ... » Je suis épuisée de me battre pour rien avoir en retour. Un regard, un geste, de la compréhension. J'ai besoin de savoir ce que j'ignore depuis deux ans maintenant. J'ai besoin d'avoir des réponses. « Tu en auras bien assez, tôt, ne t'en fais pas. Demain peut-être, qui sait ? » Je n'aime pas ce ton que tu prends avec moi. Un jour, tu me le paieras, je t'en fais la promesse. Et, ce jour-là, je serrerais mon petit-frère dans les bras en te regardant crever. « Des mots. Ce ne sont que des mots que je ne prends plus la peine d'écouter avec le temps. Tu m'ennuies, tu me fatigues. Il est temps de rendre une petite visite à ton cher petit frère, histoire de voir s'il aura autant de confiance en toi que ce que tu sembles croire. » Je bouillonne. « Si tu oses toucher à un seul de ses cheveux, je peux t'assurer que- » Il rigole mais c'est mon rire que j'entends, ce rire si particulier, si mauvais. « Ne sois pas si naïve chérie. Ce n'est pas moi qui lui ferait du mal, mais bel et bien toi. Pauvre petit Ciarán, hanté par cette personne méconnaissable qu'est devenue sa grande-sœur dont il était si proche et qui, aujourd'hui, ne lui porte plus une once d'amour ... C'est la triste réalité qu'il se prendra en plein visage, il faudra t'y faire car maintenant, tu es à moi. » Touchée. Coulée.