❯ Je suis née dans une famille, tout ce qu’il y a de plus normal… Enfin, c’était ce que je pensais, autrefois. Finalement, ma vie et celle de ma famille ne sont pas si banales que cela. Je vais vous expliquer : je suis la benjamine d’une famille de trois enfants ; trois filles qui plus est. Il y a Shae, l’aînée, puis Noa, puis moi. Nous formions une famille unie, et avec mes sœurs, je faisais les quatre cents coups, ce qui avait parfois le don d’énerver mes parents. J’étais très proche d’elles, et je le suis toujours de Noa, même si les choses ont bien changé depuis.
Donc, une petite vie de famille comme vous en trouverez des dizaines en Amérique. Des parents qui travaillent souvent, qui s’absentent régulièrement à cause de cela, d’ailleurs, mais qui font tout de même leur possible pour être présents. A l’école, je n’étais pas première de classe, je faisais plutôt partie de celles qui réussissent grâce à leur charisme plutôt que leur intelligence, même si je n’en suis pas dépourvue. J’aimais tout particulièrement l’étude des langues, et j’ai gardé cette passion. Je vous ai dit que je suis quelqu’un de sociable et cela me permet de discuter avec plein de gens inconnus et de faire de belles rencontres ; et puis, je suis curieuse, j’aime savoir ce que les gens pensent de moi. Alors inutile de m’insulter en espagnol, j’ai bien compris ce que tu disais, pas besoin de le cacher…
J’avais une petite vie tranquille, je faisais des bêtises et deux fois sur trois, ce sont mes sœurs qui en payaient le prix, y compris lorsque ce n’était pas leur faute. (Comme par exemple la fois où j’avais décidé de teindre le chat de la voisine en un beau rose bonbon et violet après avoir visionné Alice au pays des merveilles de Disney) Il faut dire qu’avec ces deux anges gardiens derrière mon épaule, je n’avais rien à craindre, et j’étais d’ailleurs même un brin casse-cou, à leur grand dam. Mais je savais aussi qu’il y avait des limites à ne pas dépasser, et je me gardais bien de le faire ; je les aimais trop pour ça. Mais les faire enrager de temps à autre, c’était (et cela reste toujours) très amusant. Je suivais des cours d’équitation, et de danse classique, et j’avais pour but de me faire sélectionner pour passer dans l’équipe des pompom girls. J’aimais les sorties entre amies ou avec mes sœurs, et faire les boutiques.
Tout allait bien dans le meilleur des mondes jusqu’au jour où Shae devint plus distante. Elle n’acceptait plus que j’entre dans sa chambre sans frapper et plus non plus quand elle n’était pas là. Mes parents m’ont répliqué que c’était une phase, que c’était à cause de l’adolescence. Je me suis demandé un temps ce que c’était pour une drôle de maladie, puis j’ai arrêté de chercher une réponse. Heureusement, Noa n’avait pas attrapé cette maladie-là et je pouvais toujours compter sur elle quand quelque chose n’allait pas. Elle me rassura que Shae m’aimait toujours autant mais qu’elle grandissait et avait besoin de place. Alors je prenais ce qu’elle me donnait et je m’en contentais, très heureuse quand elle voulait bien passer du temps avec moi.
Puis vint le jour où Shae disparut. Sans rien dire, sans prévenir. Ni à moi, ni à Noa. Nos parents étaient affolés, guère moins que moi, je crois. J’en ai pleuré des nuits entières dans les bras der Noa, mais j’essayais de n’en rien montrer à l’école. C’était l’année de mes quatorze ans, l’école avait organisé un bal, et j’allais enfin pouvoir y participer. Hors de question que mes parents m’interdisent d’y aller sous prétexte que je n’allais pas bien. J’étais dans l’équipe des pompoms girls, et les gars de l’équipe de football commençaient à me regarder. J’avais repéré Thomas, le quarterback de l’équipe de mon année, et j’étais flattée qu’il s’intéresse à moi. Il fallait que je l’impressionne. Je crois que j’ai vraiment dégoûté toute la famille pendant plusieurs jours. Je ne parlais quasiment que de cela, cela me permettait de me concentrer sur autre chose que la disparition de Shae, et me permettait de ne pas pleurer en y pensant. Alors j’ai entrainé Noa dans une chasse à LA robe de soirée, accompagnée bien sûr des souliers, sac à main, étole, virée chez le coiffeur, visite du rayon parfumerie et maquillage. Je devais être parfaite. Et nous avons finalement trouvé la perle rare : une robe de mousseline bleu clair, assortie à mes yeux. Elle coûtait un peu cher, mais Noa m’avança l’argent et je lui promis de la rembourser une fois l’été venu et mon job de vacances terminé. (J’avais obtenu l’accord d’une boulangerie locale pour y servir comme vendeuse) Malheureusement, je n’ai pas eu l’occasion de porter la robe. Car, à peine étions nous rentrée de cet après-midi de courses additionnée d’un bon repas, qu’une vision d’horreur nous attendait à la maison et que nos vies allaient changer à jamais.
Noa rentra la première, je la suivais avec des colis plein les bras, elle me bloqua un peu la vue, mais je la poussai de côté, pour voir ce qui s’était passé. Aussitôt fait, je détournai le regard et avant que je n’aie bien compris ce qui se passait, Noa m’envoya dans ma chambre. Je me souviens fort bien de ce que j’ai vu, même si cette vision n’aura duré que quelques secondes. Le temps est tout relatif dans ce genre de situation. Noa vint me rejoindre un peu plus tard et m’aider à faire un sac de voyage rapide, avant de m’embarquer en voiture. Oui, elle avait osé prendre la voiture des parents, et le tout sans permis de conduire ! J’étais sous le choc, en larmes, et la seule chose que je ne comprenais pas, c’était pourquoi on n’appelait pas la police, l’ambulance, les pompiers, le FBI et tous ceux qui auraient pu nous aider ! Mais face à cette question, je ne rencontrai que le silence buté de Noa. Bien vite, ce fut à mon tour de me taire. Plus de sœur, plus de parents, plus de maisons, et changer de motel tous les trois jours, sans rien à manger, sans rien pour me changer, alors que le bal de fin d’année devait avoir eu lieu et que j’aurais pu en être la reine ! Noa refusait de répondre, trop occupée à je ne sais quoi pour vraiment me remarquer. Je sombrai dans la dépression, en me demandant à quoi tout cela rimait, si nous allions un jour pouvoir en finir avec cette errance et pourquoi ma sœur refusait de me répondre quand je lui demandais pourquoi nous avions du partir en catastrophe. La chose sensée aurait été de rester à attendre les secours ! La nuit des cauchemars horribles venaient hanter mon esprit, et la journée, j’étais incapable de réfléchir à quoi que ce soit de cohérent. C’était comme si ma vie s’était arrêtée du jour au lendemain sans que je comprenne pourquoi. Plus rien n’avait d’importance. Même Noa, qui refusait de répondre à mes questions.
Puis Noa commença à partir plus souvent, me laissant seule alors qu’elle courait les rues à la recherche de monstres. Le tout sans rien me dire, bien sûr, mais elle ne pouvait cacher les ecchymoses et le sang qui entachait ses vêtements. Au bout d’un temps, j’en eus assez et lui demandai de s’expliquer. Qu’elle se désintéresse de moi, je le comprenais, je ne m’intéressais plus guère à moi-même non plus, il faut dire. Plus rien n’avait d’importance. Mais ce qu’elle m’avoua ce soir-là changea ma perspective des choses et me permit de réapprendre à vivre et plus seulement à survivre. Des créatures surnaturelles existaient, et elles étaient la cause de la mort de nos parents.
Vint ensuite une de nos plus grosses disputes et l’un des sujets sur lesquels nous sommes en total désaccord : je demandai à Noa de pouvoir l’accompagner dans ses chasses. Elle refusa catégoriquement, et c’est toujours le cas aujourd’hui. J’ai fini par accepter cette idée, mais elle ne pouvait m’empêcher au moins d’étudier ces créatures et de l’aider par cette connaissance. Connaitre son ennemi est une des règles de base de tout combat, avec connaitre le terrain. Je l’aidai donc du mieux possible, en surfant sur le net ou bien en consultant des bibliothèques aussi diverses que poussiéreuses. Petit à petit mon savoir grandit, je me mis à étudier les langues anciennes, ce qui ne fut pas aisé sans professeur, mais heureusement, il existe des cours en ligne et par correspondance même dans ce genre de matière.
Ces recherches ne m’aidèrent pas à trouver de trace de Shae, même si j’étais en passe de devenir une petite Nancy Drew. Je ne l’oubliais pas, et me demande tous les jours où elle est et pourquoi elle nous a abandonnées si subitement sans jamais donner signe de vie. Je lui en veux beaucoup de ne pas avoir cherché à nous retrouver, malgré les années, et malgré le fait que nos parents sont morts. Surtout à cause de cela d’ailleurs. Elle a bien dû apprendre la nouvelle et elle aurait dû se trouver à nos côtés, pour affronter ça et nous protéger, nous, ses deux petites sœurs et sa seule famille.
Il y a quelques mois, Noa a parlé de rejoindre un groupe de chasseurs. Ceux-ci disent avoir découvert un moyen efficace de combattre les démons et de les empêcher de ressortir de l’enfer. J’aimerais les croire. Nous nous sommes rendues à cet endroit, près de Vegas, et j’y ai fait la connaissance de ces personnes, des fous, selon moi, qui tentent l’impossible et ne reculent devant rien pour y arriver. Au fil des jours, j’ai trouvé ma place parmi eux, les aidant du mieux que je le peux, mais le travail est immense et il faudrait être Hercule pour y parvenir. J’ai bien noté l’intérêt de Noa pour Sam Winchester, et j’espère qu’ils vont arrêter deux minutes de se regarder en chien de faïence avant de repartir en chasse. Ils devraient en profiter, on ne vit qu’une fois, et au vu de ce qui se profile à l’horizon, nous devrions tous saisir notre chance de trouver un peu de bonheur tant que nous le pouvons encore. Peut-être qu’à force de blagues et de bière, je parviendrai à les caser ensemble… Qui sait ? Dans un monde où les démons et les anges foulent la Terre, tout est possible !